Performancing Metrics

Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Chroniques de mes lectures

Underground - Haruki Murakami

Livre d'entretiens, mais aussi réflexion philosophique et autobiographique, un essai indispensable pour décrypter l'oeuvre de l'auteur de 1Q84, la trilogie au succès planétaire.

Le 20 mars 1995 se produisait l'attentat le plus meurtrier jamais perpétré au Japon : en pleine heure de pointe, des adeptes de la secte Aum répandent du gaz sarin dans le métro de Tokyo, tuant douze personnes, en blessant plus de cinq mille.

Très choqué, mais aussi révolté par le traitement médiatique par trop manichéen de la tragédie, Murakami va partir à la rencontre des victimes et de leurs bourreaux : rescapés du drame et adeptes de la secte.

Au fil des entretiens apparaissent tous les grands thèmes chers à Murakami : l'étrangeté au monde, l'impossible quête d'absolu, le mal venu des profondeurs, ces little people présents en chacun de nous, incarnations des forces destructrices qui nous font basculer parfois vers l'irréparable...

 

Mon avis

 

Quand on parle d'attentat de nos jours, je crois qu'on a tous les mêmes images en tête : les bombes qui explosent, les avions qui foncent dans les immeubles. Je connaissais de nom l'attentat du gaz sarin de Tokyo et j'avoue que mon image de l'évènement était violente, puisque pour moi n'importe quel attentat était violent. J'imaginais des mecs masqués qui arrivaient avec une bonbonne de type extincteur dans le métro, gazaient tout le monde et s'enfuyaient pendant la panique générale. J'imaginais les gens tomber comme des mouches au milieu d'un brouillard bizarre.

En fait, cet attentat est typiquement japonais, et donc à l'opposé de ce que j'imaginais. C'est presque "propre". J'ai eu du mal à digérer le premier témoignage. Grosso-modo, on dépêche un gars par ligne, et le monsieur prend le métro. Il fait tomber ses poches remplies de liquide par terre, les perce discrètement avec la pointe de son parapluie, et descend à l'arrêt suivant. Personne n'a rien vu. Et puis, il y en a un ou deux qui vont commencer à avoir du mal à respirer, à tousser, à avoir les yeux qui pleurent, et ça va se répandre à tout le wagon comme une traînée de poudre.

Alors voilà, moi, j'ai trouvé ça encore plus vicieux que les avions dans les immeubles. Oh, bien sûr, ça n'a pas fait autant de morts que dans bien d'autres attentats : 13 au total, et des blessés, dont la plupart ne gardent que comme séquelles d'avoir une plus mauvaise vue qu'avant, voire quelques migraines. Bien sûr, il y en a de plus gravement touchés, et on ne compte pas les victimes collatérales : les familles des victimes. Mais voilà, ce n'était pas de la violence brute, et c'est ce qui explique à mon sens que l'évènement ne soit pas très connu dans nos vertes prairies.

Ce qui a poussé Murakami a interroger des témoins comme des membres ou ex-membres de la secte AUM, c'est le traitement de la presse qui a refusée d'humaniser les victimes. La première partie de ce livre est donc une série d'entretiens avec les victimes, divisée elle-même en sous-partie, selon la section du métro où les témoins se trouvaient. Chacune de ces sous-parties commence par une introduction qui explique qui est celui qui a gazé la ligne.

Je ne cacherai pas que c'est un livre assez dur à lire, ce qui explique que je l'ai lu vite, ne me voyant pas m'attarder sur le sujet plus de quelques jours. Il y a des témoignages "légers" - des personnes moins touchées, qui n'ont pas vu le pire de la situation- tout comme de très lourds -des personnes sur place, qui ont tout vu, qui ont vu ceux qui allaient finalement mourir. Bizarrement, parmi ceux que je retiens particulièrement, il y en a deux de personnes qui n'étaient même pas sur place : celui de Tatsuo Akashi, dont la soeur a été touchée gravement, au point d'être quasi-tétraplégique et d'avoir régressé mentalement au niveau d'une enfant (Murakami rencontre juste après cette jeune fille), et celui de Yoshiko Wada, dont le mari a perdu la vie dans cet attentat.

Non pas que les survivants n'aient rien d'intéressant ni de prenant à dire, croyez-moi.

 

Juste après, on retrouve une petite réflexion de Murakami sur cet attentat, qui finit forcément par dévier sur une réflexion sur la psychologie et la sociologie des japonais.

 

Après quoi, on retrouve quelques témoignages, ajoutés en seconde édition, de membres ou d'ex-membres de la secte. Quasiment tous disent en avoir tiré des bénéfices. Là où les témoignages divergent, c'est quand on en vient à parler de ce qui se passait au quotidien dans les locaux d'AUM : on va du "rien à signaler" au "j'ai perdu deux ans de ma mémoire parce qu'on m'a soumise aux électrochocs". On se fera son propre avis : est-ce que ça dépendait de l'endroit ou de l'attitude de la personne, est-ce que certains ont caché des choses... Ce que j'en retiens personnellement, c'est que ce sont des personnes normales, que sur certains points, je pense comme eux et que, comme le dit l'auteur dans sa conclusion, "Ca pourrait très bien être moi. Ca pourrait être vous."

 

Le bouquin est instructif du début à la fin, tant pour sa sensibilité que pour ce qu'il montre des répercussions de cet attentat, dans tous les sens du terme. Dire que j'ai "passé un bon moment" serait de très mauvais goût, mais je suis sûre que vous comprenez parfaitement ce que je veux dire :)

 

En bref

Un bouquin à lire, sauf en cas d'allergie aux livres de témoignages. 4/5

 

Quelques mots sur l'édition

 

Je trouve personnellement la quatrième de couv' super pompeuse. Donc oui, c'est un Murakami, et il y a effectivement une petite réflexion de l'auteur en milieu de bouquin, ou on peut éventuellement voir quelques thèmes récurrents de l'auteur (le métro par exemple, les espaces souterrains) mais vraiment, de là à dire que le bouquin va nous permettre de "décrypter l'oeuvre",...

Désolée de faire un tel aparté, qui ne devrait pas se trouver dans l'avis sur le contenu du livre, mais cette promo m'a énervée au plus haut point. J'ai vu des messages passer sur la page facebook de Belfond qui clamaient que c'était le "nouveau" Murakami. "Nouveau" ? Il date juste de 1997. Personnellement, ça faisait un bon cinq ans que la version anglaise était dans un coin de ma LAL et que je me demandais si j'allais tenter de lire un essai en anglais. Donc oui, c'est le nouveau, mais le nouveau TRADUIT. La formulation tente clairement de duper les gens, et ça m'a agacée.

L'impression que ça me donne, là tout de suite, c'est que Belfond a tenté de surfer sur la vague 1Q84 et a sorti un bouquin dont ils n'ont rien à foutre, portant sur un sujet dont personne n'a rien à foutre en France, ni même en Europe, en espérant se faire un peu plus de fric. Je me demande même sérieusement si ils ont relu le truc : il y a des fautes de typo très fréquentes sur les noms en japonais. "Marunouchi" devient "Maronouchi", "'Asahara" devient "Ashara". Quand ça arrive une ou deux fois ça passe, mais là, c'est un petit paquet de fois.

Dernière chose : j'ai une réticence personnelle pour les traductions d'autres traductions. Parce que le bouquin là, il est traduit de l'anglais, lui-même traduit du japonais. Pourquoi ne pas avoir traduit le livre en japonais directement ? Aucune idée.

 

D'autres avis ?

 

Logo Livraddict

Underground - Haruki Murakami

Underground, de Haruki Murakami

Belfond

583 pages

22 €

Acheter sur Amazon